dimanche 25 novembre 2007

Chapitre 8

Qu’est ce qui peux arriver de pire après une rude journée de travail ? Réponse rentrer chez soi et trouver tranquillement installé dans votre salon votre fils de quinze ans avec le légat du sud.

Là, on n’a pas le temps d’être étonné. On s’inquiète. Je pense être devenu blanc et être resté sur le seuil de mon salon, la bouche ouverte, bien trop longtemps. Mon air de poisson frit a particulièrement contenté Sérénité et je n’avais pas envie de le contenter. Aussi, je me suis repris. J’ai débité les formules d’usage. Je n’ai pas eu le temps de lui demander la raison de sa présence en ses lieux, mon gosse est intervenu.

« Pa, tu savais que dans le sud ils peuvent avoir plusieurs femmes ? »

Je grinçais des dents. « leurs femmes batifolent avec tout le monde. Si c’est ça qui t’intéresse mon fils. »

Ses yeux pétillaient toujours. A son age ce sont les hormones qui parlent, pas la raison.

Je fusillais Sérénité du regard ce qui parut ne pas lui faire plus d’effet qu’un moucheron à l’autre bout de la pièce. Pas impressionnable pour un sou celui-là. Qu’est-ce qui lui prenait de raconter de telles sottises à mon fils.

« Légat Sérénit, est-ce vrai que la magie dirige les territoires du sud ? »

Houlà, surtout ne pas le laisser répondre, il serait capable de ne pas démentir juste pour attiser les rumeurs.

« Ounis, dehors

Mon fils est sorti à ma première injonction. C’était bien la première fois qu’il m’obéissait. Il faut dire que je n’avais pas l’habitude de crier si fort. Déjà une bonne chose de faite. Au problème suivant. « Que faites vous là, légat Sérénité ?

- Silicium, vous me semblez avoir perdu votre ton mielleux spécial haute personnalité.

- Je suis chez moi, ici. J’ai fini de bosser.

- Je sais. C’est pourquoi je suis venu ici. Difficile de cerner la personnalité d’un diplomate. »

Pourquoi répondre à ça. Du vent, rien que du vent pour éviter de répondre à ma question. Quoi que je dise il s’en servira pour s’éloigner de ce que je veux entendre.

Je ne veux pas entendre la moindre fabulation de votre part, qu’il s’agisse de dragon ou autre.

- J’admets que vous avez marqué un point là. Je n’ai pas anticipé le fait que vous aviez vu l’animal mais vous auriez vu le regard pétillant du journaliste quand je lui ai dis que je montais à dos de dragon. J’avais envie d’en rajouter juste pour lui faire plaisir.

Je soupirais, le mensonge était une pathologie incontrôlable chez ce type.

Une bouteille était apparue dans sa main. Encore un vieux truc. On monopolise l’attention sur un détail pour faire sortir quelque chose de sa manche. Sa toge est suffisamment large pour en cacher dix comme celle-là. Il y a déjà deux verres sur la table. Sans doute a-t-il commencé à boire avec mon fils. Il me montre la bouteille. Je lui fais non de la tête.

« J’espère ne pas vous offenser en apportant mes propres bouteilles. Je ne doute pas de la qualité de votre bar mais votre île ne sait faire fermenter autre chose que de la piquette de raisin. Et du jus de citron.

- Vous êtes venus juste pour insulter nos viticulteurs ? »

Grand sourire. Il se prélasse dans mon meilleur fauteuil. Dire que j’avais pas mal d’estime pour ce type. Elle est en train de chuter.

« Vous me plaisez Silicium. Et quand vous vous échauffez ainsi, vous me plaisez encore davantage. »

- On m’appelle Syliss.

- Si vous le dites.

Je suis venu vous faire part d’une réflexion. Croyez-vous en l’existence des dieux Silicium ? »

Je m’assois. Sa question est assez inattendue. Je ne doute pas que mes croyances ne sont pas le but de sa visite.

« Non. Foutaise pour ceux qui craignent la mort. »

Il acquiesce mais plus pour signifier qu’il comprend mon point de vue que par réel soutien à ma thèse. Pourtant, jamais je n’ai entendu parler de religion en territoire du sud. Pas de prêtres, pas de temple. Juste leur pyramide mais ils s’en servent pour eux pas pour des divinités. Il ne me laissa pas lui poser la question.

« Moi j’y crois » dit-il.

Un homme du sud pieux. On aura tout vu.

Il sourit. « N’avez-vous jamais entendu dire que nous vénérions la déesse de la mort ? »

Ses yeux qui me fixent, je ne suis pas à mon aise tout d’un coup. Il se met à rire. « Je plaisante, foutaise que cela bien entendu. Nous avons les mêmes dieux que vous. Amusant d’ailleurs de constater que malgré tous nos efforts pour tenir nos peuples à l’écart, nous connaissons les mêmes dieux. Seul les noms diffèrent. Comme vous le savez, nous ne savons écrire de noms abstraits. Vous nommez vos dieux, An Enlil, Enki, Ninhursag. Nous les nommons Origine, Vérité, Substance, Plaisir mais leurs histoires sont les mêmes.

« Dire que je vous croyais libre des prêtres et des devoirs religieux.

- Nous le sommes. Nous y croyons. Ca ne veut pas dire que nous les vénérons. Je crois en votre existence, je ne vais pas vous bâtir un temple pour autant.

- Je comprends mieux. Je voyais mal les fières castes Igigis du sud vénérer autre chose qu’eux même.

Sérénit se lève. J’ignore si je l’ai vexé ou non. J’espère que oui.

- Sortons voulez-vous.

- Non, je n’en ai aucune envie. Vous débarquez chez moi, vous sortez votre philosophie. Très bien, maintenant vous allez me dire où vous voulez en venir. »

« Sortons voulez-vous. » répéta-t-il

Je le suis. Je n’en ai pas envie mais je le fais quand même. J’habite un appartement donnant sur un vaste parc public entièrement clôt. C’est bien pour les enfants. Et puis, on connaît du monde. Souvent mon fils se plaint qu’avec mon statut je devrais avoir une belle villa sur les collines et que je lui fais honte. Je lui rétorque qu’il n’a qu’à me la trouver et s’occuper du déménagement, moi, j’ai autre chose à faire. Il l’a fait. Il m’a trouvé quelque chose de pas mal mais j’ai refusé. Je suis bien ici.

Après quelques pas, Sérénité s’était arrêté. Il fixait le sol. « Regardez » me dit-il. Le soleil m’éblouit soudain. J’ai l’impression de revenir à la réalité. Comme si je sortais d’un rêve.

« Quoi ? »

Il ne répond pas, comme perdu dans la contemplation d’un scarabée qui, les six pattes en l’air, s’évertue sans succès à se retourner. D’un petit coup de talon, il le remet sur ses pattes. La petite bête reprend son avancée. Il ne dit toujours rien.

Je commence à m’impatienter. Il ne m’a toujours rien dit du but de sa visite. « Alors ? »

Il secoue la tête d’un air d’apitoiement. Je viens de tout expliquer et vous n’avez rien vu.

« Alors cesser de vous exprimer par énigme.

- Vous avez vu ce scarabée. Sans moi, il serait mort.

- Vous êtes trop bon.

- Je peux encore le tuer. Il me suffit juste d’avancer d’un pas.

- Pourquoi le sauver pour le tuer après ? Pur sadisme.

- Par exemple mais pas nécessairement. Une impulsion de rage, un accès de folie ou plus probablement un moment d’inattention et je marche dessus.

- Tout ca pour dire quoi ?

- Imaginez que cette bête soit capable de réflexion, que pourrait-elle penser ?

- Vous voulez vous faire passer pour le dieu des insectes ?

- Dans un sens, ce ne serait pas difficile. Imaginons maintenant que pour les insectes nous soyons des dieux, ils auront beau nous louer et nous bâtir des temples de leurs petites pattes, nous ne cesserions pas moins de les écraser eux et leurs temples. Parfois nous en sauverions l’un ou l’autre ? Ceux qui auraient le mieux priés ? Certainement pas, comment aurions-nous conscience de leurs prières ? Non, nous les sauvons parce qu’un jour en batifolant, nous prenons le temps de regarder et étant d’une humeur agréable nous sortons une mouche de l’eau ou nous retournons un scarabée et cela qu’il nous ai prié ou pas. Après nous pouvons aussi les déplacer juste pour apporter une coccinelle à un enfant ou mettre une fourmilière dans un terrarium.

Est-ce que je me fais comprendre ?

- Vous voulez expliquer que vous ne priez pas les Dieux car vous les considérez comme des êtres supérieurs qui n’ont que faire de nous et qui nous traitent comme nous traitons un insecte.

Le visage du légat s’éclaire. « En un sens, Oui, c’est ça.

- Et ce n’est pas parce que vous êtes bien trop prétentieux pour vénérer quoi que ce soit. »

Jamais je n’aurais du dire ça. Je m’étais laissé emporter. Il ne se vexe pas. Il éclate de rire.

« Peut-être aussi un peu pour ça. D’ailleurs, Je n’aime pas le terme supérieur. Différent plutôt. Après tout, certaines tribus primitives voient la punition de dieu dans la maladie alors que nous savons que la cause en est des organismes si infime que la plus haute technologie parvint à peine à les déceler. La puissante civilisation battue par de simples microbes. Quand on y pense, ça a quelque chose de presque comique. Mais, quand on dépasse cet aspect, on se dit pourquoi pas ? Pourquoi n’existerait-il pas d’autres entités venues d’ici ou d’ailleurs, quelques chose de pas encore décelé, de puissant ou tout au moins de différent. Quelque chose que nos ancêtres auraient appelés : dieu. Après tout, ne vous contentez vous pas de copier la technologie d’une civilisation disparue »

Comment ? J’en restais pantois. Les textes Néfilims étaient un des secrets les mieux gardé de l’ile. Du moins personne ne savait l’importance de ces écrits et leur avancée technologique. Pour le commun des mortels, les civilisations néfilims étaient des anciennes tribus vivant sur l’ile avant notre arrivée, point barre. Jamais Sérénit n’aurait dû être au courant

Sérénit me fixe en réfléchissant. Oublie ça me dit-il. Continue à croire que je ne sais rien, c’est mieux. Contente toi de réfléchir à mon histoire de Dieu.

Parce que maintenant, Sérénit voyait une intervention divine dans les enlèvements

J’aurai bien eu envie aussi de lui demander s’il ne se prenait pas aussi pour un être supérieur vis-à-vis de notre peuple mais je n’osais pas aller jusque là. « Pourquoi venir me trouver pour me raconter cela ?

- Votre affaire. Les enlèvements, sans queue ni tête.

- Vous ne suggérez tout de même pas qu’un dieu a enlevé des gens sans raison.

- Non, avec une raison que nous ne pouvons saisir nous simple mortel. »

C’est l’alcool de rose, ça démolit les neurones. Je ne vois pas d’autres explications.

« Pensez y. »

Il avait pressé le pas jusqu’aux grilles du jardin. La nuit tombait très vite et le vent s’était levé.

« Pourquoi me dire ça ? Depuis quand vous intéressez-vous à nos affaires ? »

Il refermait déjà les grilles derrière lui. « Depuis qu’on enlève aussi des hommes de mon peuple. »

Il avait disparu. Il n’était pas parti, il s’était volatilisé. Un instant je le voyais à quelques pas se retournant vers moi, l’instant d’après, plus personne. Là, il avait fait fort. Je ne doutais pas qu’il devait y avoir un truc mais je sentais que je n'avais pas tous mes neurones au top pour le trouver.

Je me sentais un peu perdu. Face à moi, l’astre rouge de Nibiru brillait plus fort que jamais. L’astre qui annonce les catastrophes, l’astre des dieux. Je n’allais tout de même pas jouer aux superstitieux. Je secouai la tête pour me remettre les idées en place. Il y avait des disparitions dans le sud aussi alors. Ca c’était une nouvelle intéressante. Ca me fit sourire. Ceux du sud se vantent de faire régner une sécurité absolue sur leur peuple par un impérialisme qui frise la dictature. Ca leur apprendra. Sérénité divaguait-il complètement avec ses histoires de dieux ? Pourtant c’était un homme brillant. Calculateur, fourbe sans doute mais d’habitude sensé. ou voulait-il lui signifier quelque chose ?

Je suis rentré chez moi. Je n’ai pas pu y réfléchir. Ma femme s’est jeté sur moi pour reprendre ses divagations comme quoi j’étais manipulé par Sérénit, que c’était un sorcier, qu’il influençait les esprits et qu’il n’y avait qu’a avoir une once de bon sens pour remarquer qu’il obtenait toujours tout ce qu’il voulait et qu’on devrait un peu ouvrir les yeux. Qu’après tout ce n’était pas logique qu’on ait un ambassadeur du sud ici et qu’il amène ses femmes et servantes ainsi que des convois entier en provenance du sud alors qu’aucun d’entre nous n’ait ne fut-ce que la possibilité de survoler leur territoire sans se faire massacrer.

J’ai tenté de lui expliquer que si on n’avait pas envoyé d’ambassadeur dans le sud c’est parce que personne ne voulait aller là-bas. Un point c’est tout mais je me suis retenu. Ce n’était pas tout à fait vrai. Une place d’ambassadeur est toujours prisée ou qu’elle soit et les mystérieux territoires du sud font rêver pas mal de monde. Ho, et puis ses discutions ne menaient nulle part. Elle ne s’arrêtait plus. Maintenant elle palabrait comme quoi leur nom reflétait leur personnalité et qu’il suffisait de nommer les trois derniers légat du sud pour cerner leur tactique. Levant un doigt après l’autre, elle récitait : « Discrète, Subtil et Sérénité. La tactique du serpent qui s’insinue partout subrepticement mais sûr de lui.

- Suffit femme. Tes hypothèses sont absurdes et fondée sur rien. En plus, Discrète avait été tout sauf discrète. Je n’ai pas connu ce légat mais le souvenir de ses frasques restent dans toutes les mémoires. Même si son mandat a été bref. Une très belle femme. Déjà un poste si haut placé à une femme ça a fait jaser, de plus jeune, elle devait avoir 35 ans et si ses successeurs ont pris le parti de suivre nos coutumes, elle en prenait systématiquement le contre pied. Ainsi, elle s’habillait suivant la mode de chez elle, autant dire qu’elle était quasiment nue été comme hiver et jamais il ne lui serait venu à l’esprit de se voiler le visage alors que la religion était encore plus ancrée qu’aujourd’hui. Il y a 20 ans, aucune femme ne serait sortie de chez elle à visage découvert. Maintenant, c’est vrai, ca commence à se voir. Peut-être aussi un peu à cause de son influence.

Ma femme grommelait quelques inepties comme quoi c’est une manœuvre standard de diversion. « Alors que tout le monde ne s’occupait que de ses frasques ils avaient moins l’œil à ses tours de sorciers. »

Je soupirai, je n’en sortirais jamais avec elle.

« Ensuite, l’autre vieux serpent de Subtil, toujours à moitié malade et infirme. Jolie excuse pour faire croire qu’il était bon à rien même si entre deux quintes de toux tout le monde lui obéissait comme un chien à son maître et depuis cinq ans, le jeune blanc bec de Sérénit, arrivé a 20ans toujours calme et tranquille, se montrant à chaque réception une bouteille à la main. Au bout de deux mois, il avait été catalogué comme un gosse alcoolique, donc pas dangereux. Il va vous bouffer par l’intérieur. C’est une gangrène cette race-là.

- Tu as passé une bonne journée Ounis ? »

Petite pirouette vocale, mon fils revenait, j’en profitais pour ignorer superbement les propos de ma chère et tendre. Je connaissais déjà la réponse de mon fils, elle était la même tous les jours. Une sorte de grognement dans lequel on pouvait discerner un : « bof » désespéré voir dans ses jours loquaces, quelques réprimandes contre le monde cruel qui l’entourait et l’acculait de tâches indignes de son éminente personnalité que personne ne considérait à sa juste valeur. Quoi que j’allais peut-être être surpris, il respirait la joie de vivre comme je ne l’avais pas ressenti depuis longtemps. Ses yeux pétillaient. Mon âme de père en était réjouie mais mon âme de flic se méfiait.

« le légat Sérénit, il a dit qu’il me montrerait sa maison pour me montrer comment devrait vivre le fils d’un chef de la sécurité »

Tactique pour changer de sujet, échouée.

Et il en rajoutait « il est hyper fort ».

C’était pas pour calmer ma femme : « tu vois Syliss, il vient jusque dans notre maison pour réveiller des forces maléfiques qui pervertissent nos enfants.

- Suffit ». J’avais crié. Ca faisait au moins cinq ans que je n’avait pas crié ainsi mais il était tant qu’on sache qui était le chef dans cette maison : « Ma femme : la sorcellerie n’existe pas.

- Mais le légat Sérénit… »

Je me tournais vers mon fils, il se tut instantanément. Après tout, un accès de colère de temps en temps ça remet les choses en place. » Bien sur qu’il vous manipule, mais pas en utilisant de la magie, ce qu’il utilise, c’est votre crédulité ».

- Ha oui, parce que tu oserais dire que c’est normal qu’on vive dans une résidence entouré de loqueteux alors que tu es chef de la sécurité ! »

Ca y est, mon jeune adolescent cynique était de retour.

C’était le moment de relancer un deuxième cri. » Ounïs dans ta chambre et Dhaïs aussi.

- Mais… »

La petite voix de ma fille s’élevait enfin derrière la porte. « Dans ta chambre j’ai dis, ça t’apprendra à écouter aux portes. » Qu’est-ce qu’elle s’imaginait celle là, que je n’étais pas capable de la repérer.

Ounis est sorti en grommelant des propos comme quoi Sérénit avait raison de dire que des personnes de notre rangs ne devraient pas vivre dans un minable appartement comme le notre et la présence curieuse de ma fille derrière la porte s’est estompée. Je me suis laissé tomber dans un fauteuil. Ma femme ne disait rien mais je sentais sa contrariété s’insinuer en moi. Sérénit avait oublié sa bouteille d’alcool de rose. Je m’en sers un verre. Il y a des jours où une bonne cuite n’est pas si mauvais au fond.

Aucun commentaire: