dimanche 25 novembre 2007

Chapitre 5

« Chef »

Je me retourne vers mon assistante, doucement pour ne pas renverser le café que je ramène. Ca fait une semaine que je bosse tous les soirs jusque tard dans la nuit. Je devrais me reposer, j’en suis conscient mais, même si je suis épuisé, je tiens sur les nerfs. Quand je suis dans cet état, je pourrais toujours me coucher, je n’arriverais à rien d’autre que tourner et me retourner inutilement. Alors, je tiens au café.

Mon assistante se mord la lèvre. Elle fait toujours cela avant de m’annoncer quelque chose qui ne va pas me plaire.

Encore une disparition me dit elle. Enfin deux plutôt. Une mère et sa fillette de sept ans.

Je lâche mon café qui se déverse sur les dalles de marbre blanc prenant bien soin d’asperger mon costume au passage. Je pousse un juron que je ne me permettrais même pas de retranscrire ici. C’est la goutte qui fait déborder le vase comme on dit. Il y a quelqu’un sur cette île qui sème la terreur et je le prends comme une attaque personnelle. Celui qui fait ça me nargue. Il se fout de ma gueule et j’ai horreur de ça. Mon assistante garde son air pincé sans oser ouvrir la bouche faisant mine d’éviter de loucher sur mon costume clair recouvert de café.

« Vous avez de la famille ? » Je travaille avec cette fille depuis plus de deux ans mais jamais je ne me suis intéressé à sa vie privée. Elle me répond par l’affirmative.

Appelle chez toi alors et dis leur qu’ils ne t’attendent pas ce soir. Elle me regarde étonnée. Mais… commence-t-elle.

« Je ne veux aucune excuse, ce soir tu réunis toute la cellule de crise, aucun chef de département ne sortira d’ici avant qu’on ait avancé sur cette affaire.

Elle m’a regardé disparaître dans mon bureau avec des yeux ronds. Sans doute avait-elle prévu autre chose pour la soirée. Il était temps que quelqu’un bosse sérieusement sur cette île.

Je suis arrivé dans la salle de réunion à 22h pile. Il y avait déjà quelques personnes. Les conversations s’étaient arrêtées à mon entrée. Je n’étais pas dupe. Je sais qu’ils se plaignaient de cette réunion tardive. Ils n’avaient qu’à se mettre d’accord pour trouver un créneau qui convienne plus tôt. Je sais que pour la plupart, ils l’auraient bien remis au lendemain, voire à la semaine ou au mois suivant. Vu que cette affaire traîne en longueur, ils ne comprennent pas que je me presse. Pourtant c’est évident, Peut-être des hommes et des femmes sont-ils retenus quelque part. Peut-être sont-ils mort. Des familles sont dans l’incertitude et nous, on remet au lendemain. C’est inadmissible, nous avons déjà bien trop attendu. A croire que tout le monde se roulent les pouces dans cette histoire. Et c’est par ces mots que j’ai commencé la réunion. Il y a eu un murmure désapprobateur. Ils n’étaient pas restés si tard pour se faire réprimander. Qu’on enlève quelqu’un de leur famille et on en reparle.

J’ai commencé par reprendre toutes les données, les soumettant à l’assemblée sans plus de résultat. On a tout comparé, chercher vainement des points communs sans succès. A croire que les victimes étaient choisies au hasard, juste pour nous narguer. A une heure du matin, La porte a grincé d’une manière désagréable durant un moment de silence. Le bruit a capté l’attention, les têtes se sont retournées. J’aurais préféré qu’elles restent concentrées sur notre souci. Il y a eu comme un recul, comme un trouble partagé, toutes les têtes se sont à nouveau penchées sur les dossiers que j’avais distribués, très vite, trop vite, comme pour tenter d’ignorer le nouveau venu. Sérénité est entré le plus tranquillement du monde, sa large étole bordeaux de légat rabattue sur l’épaule, il a parcouru longtemps des yeux l’assistance comme s’il en comptait les membres puis s’est assis sur un des derniers fauteuils vides autour de la table ovale. Il a toussé, jeté un œil négligeant sur son voisin qui a reculé sa chaise et a tiré le dossier de ce dernier vers lui. Je n’ai pas fait de remarque me contentant de prendre un autre dossier et de le tendre à la personne lésée. Le légat du sud avait t le droit d’être là d’ailleurs deux autres ambassadeurs avaient pris part à la réunion. Celui des terres des sables et celui du continent noir. Je leur en étais reconnaissant. C’était une belle marque de sympathie de chercher à apporter aide et soutien lors d’une affaire qui pourtant ne les concernait pas. Je n’éprouvais pas la même gratitude pour Sérénité. Peut-être à cause de son air nonchalant qui donnait l’impression que même s’il s’était déplacé il se fichait éperdument de ce qu’on faisait ici ou alors parce qu’il était arrivé avec trois heures de retard. Mais il n’y avait pas que cela. Même si personne n’avait encore osé aborder le sujet, je savais que nombreux étaient ceux qui soupçonnaient l’implication des territoires du sud dans cette affaire. Moi-même, je n’arrivais pas à l’écarter. Non pas à cause de ses histoires de sorciers et autres superstitions mais parce qu’objectivement, j’imaginais mal les autres contrées avoir les moyens de nous défier ainsi, je me refusais à penser que quelqu’un de l’île puisse avoir un tel manque de morale et que, il faut bien l’avouer, nous ne sommes pas dans les meilleurs termes avec le sud. Même si je m’évertue à garder avec eux des relations courtoises, ils n’y mettent pas beaucoup du leur.

« Quelqu’un a travaillé cette piste sur les animaux ? »

Face à ma question, j’ai perçu quelques soupirs, ils n’avaient pas dû apprécier que je les mette sur une piste si farfelue. Lanic s’est raclé la gorge avant de prendre la parole. C’est mon meilleur enquêteur et c’est lui qui coordonne les données sur l’affaire. Sur la dernière affaire, j’ai interrogé les témoins. Si on peut parler ainsi de sujets n’ayant rien vu ni entendu. Ils n’ont fait nulle mention d’animaux. Quand je leur ai posé la question, j’ai eu rapport de la présence d’oiseaux, quelques lézards, de fourmis aussi et de quelques mouches. Chose très étrange dans un parc public. Il avait grommelé ça d’un ton sarcastique. Quelques rires étouffés lui répondirent. Je fis semblant de les ignorer. Et au niveau des autres affaires ?

Une main se lève, je dis à l’enquêteur qu’il peut prendre la parole. J’ai repris contact avec quelques témoins des premières affaires, ils ne se souviennent de rien pour la plupart. J’ai eu un témoignage d’une personne témoin du cas numéro trois qui m’a fait mention d’un aigle. Ca l’a marqué car il était très gros mais le sujet en question n’a pas pu m’assurer qu’il l’avait vraiment vu à la même date que l’enlèvement.

Bien sur, a quoi m’étais-je attendu.

Je fais signe à un autre enquêteur qu’il peut prendre la parole. C’est un jeune homme. Enfin, il doit avoir mon age. A croire que je me considère comme vieux avant l’age mais c’est qu’il parait plus jeune avec son air mal à l’aise en se tortillant les doigts. Dans le cas numéro cinq, quelqu’un m’a dit avoir vu un dragon mais tout petit. Eclat de rire général bien compréhensible. L’enquêteur continue. Oui, c’est aussi ce que j’ai pensé. Le témoin en question n’en avait pas parlé la première fois car il avait pensé être victime d’hallucination. Je l’ai cru aussi mais ce qui est étrange, c’est qu’un autre témoin m’a rapporté le même phénomène.

« Vous voulez dire que deux personnes ont témoigné avoir vu un dragon ?

Oui mais tout petit, un mètre de long tout au plus.

- Ca nous avance ».

Je me retourne vers celui qui a fait cette brillante remarque. C’est le même qui avait soupiré bruyamment quelques instants plus tôt Le responsable des affaires externes. Il est affalé sur son fauteuil, le faisant tourner légèrement d’un coté sur l’autre.

« Si vous n’avez rien de plus pertinent à dire, vous pouvez vous taire.

Ok, je me tais. » Il continua pourtant « Peut-être que le légat Sérénit aurait quelques chose à nous dire. A moins qu’il soit venu se joindre à nous juste pour nous narguer.

Le légat tourna la tête vers l’opportun le dardant de ses yeux verts avant de répondre d’un ton calme.

- N’envisage pas me parler à nouveau sur ce ton.

Il n’essaya plus et cela clôtura le chapitre sur le sujet. C’est dommage, j’aurais bien voulu avoir l’avis de Sérénité mais s’il avait décidé de jouer le spectateur passif, personne ne saurait le contraindre à prendre part au débat. L’enquêteur reprit la parole sans parler d’animal, j’ai un témoin qui dit avoir vu une femme qui n’était pas d’ici sur les lieux de l’enlèvement.

Qu’est-ce qu’il en sait ?

Il dit qu’il l’a aperçu juste quelques secondes à une fenêtre mais que ça a suffit pour qu’il tombe désespérément amoureux d’elle et depuis qu’il la cherche vainement. »

- Si c’est pas mignon tout ça.

Je fais taire celui qui a fait cette remarque grotesque. Ce soir je n’ai pas le sens de l’humour.

« Il t’a décrit cette femme ?

- Très belle, naturellement. Grande, cheveux doré, yeux clairs, environ vingt-cinq ans, peau bronzée.

Les regards se tournent imperceptiblement sur la peau cuivrée et les yeux clairs de Sérénité.

- C’est pas quelqu’un de chez moi dit il négligemment sans lever la tête.

- Comment peut-on en être sur ?

- Parce que je vous le dis.

Silence.

Quelqu’un se racle la gorge : « comme vous aviez dit aussi que vous feriez ramener les pilotes que vous détenez en otage depuis deux mois. »

Pas la moindre émotion ne traverse le visage de marbre de Sérénité : Jamais je n’ai dit que je ferais la moindre action dans ce sens.

L’autre se lève, tape du poing sur la table. Sérénité l’arrête d’un seul regard. Ne vous échauffez pas pour rien, vos pilotes sont déjà de retour sur le sol de l’île.

Silence, un parfum de suspicion s’élève dans la salle.

« Vous pourriez me remercier plutôt » grince le jeune légat.

« Quand » réplique l ?

Geste nonchalant de Sérénité. Il regarde sa montre. 13 minutes.

Quoi treize minutes ?

Vos hommes ont atterri à 2h43 heure de l’île, soit il y a treize minutes. Quatorze depuis que vous palabrez inutilement. »

Silence de nouveau. Les hommes se méfient. Moi aussi. Ca fait deux heures que je suis face à Sérénité qui ne fait absolument rien d’autre que, appuyé tranquillement sur un coude, écouter d’un air peu intéressé les débats sans daigner y prendre la moindre part comme si ces discussions n’étaient pas dignes de sa personne. Je voyais mal comment il aurait pu s’occuper d’autre chose en même temps.

Il sort de sa tunique un petit communicateur qu’il fait glisser jusqu’à l’autre bout de la table en marmonnant. Vous n’avez qu’à appeler Phybie. C’est lui qui les a réceptionné.

Je souris. Pour une fois, il va se faire avoir. Je lui souffle que Phybie est malade, c’est Kiola qui le remplace.

Ca n’a aucun intérêt. La seule chose qui compte c’est que les pilotes soient de retour mais l’air sur de lui du légat horripile tout le monde à cette heure tardive.

« Bien sur que si vous auriez dû nous prévenir. »

Silence.

« On en reparlera ».

Mon voisin raccroche. « Vos gardes font de l’excès de zèle me dit-il. Comme vous aviez exigé qu’on ne dérange la réunion sous aucun prétexte, ces abrutis n’ont pas jugé utiles de nous transmettre le message de Phybie sur l’arrivée des otages.

Phybie ?

Oui, en plus Kiola s’est foulé la cheville en début de soirée d’une manière complètement stupide et c’est Phybie qui s’occupe de tout. Il tient à peine debout et nous, on était tous coincé ici pour cette réunion sans queue ni tête.

Je ne sais plus vers qui diriger ma hargne entre celui là qui me fait des insultes à peine déguisées et Sérénité qui, les deux mains croisée devant la bouche, réprime une envie de rire que j’estime très malvenue.

Ce dernier est le plus insupportable, fier d’avoir encore raison, fier d’être toujours au courant de tout, le seul à tout maîtriser.

Je me prépare à lui rabattre son caquet

« Ce n’étaient pas des otages » précise-t-il coupant nette ma réflexion.

La tension devient trop intense dans cette salle. Il est déjà presque trois heures du matin. Je ne peux pas retenir ses hommes indéfiniment et il me faut voir les pilotes. Je mets fin à la réunion. On n’a pas avancé.

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