dimanche 25 novembre 2007

Chapitre 2

Cette histoire de réception pourtant à mon idée une bonne occasion d’arranger tout cela a été plus loin que de simples heures supplémentaires. Ma femme m’a fait une scène. Je l’avais prévenu depuis une semaine pourtant, Du moin, je pense lui avoir dit pourtant. En tout cas, à elle, j’ai affirmé que je lui en avais parlé mais après coup, je ne suis plus si sûr. En tout cas, j’avais totalement oublié qu’on avait prévu de sortir ce soir là fêter le dix huitième anniversaire de notre rencontre. Des trucs de nana ça.

Je me suis éclipsé dans notre chambre, j’ai passé mon déguisement comme j’appelle les tenues officielles. Tunique courte blanche sur pantalon bien trop étriqué et toge bleu foncée bien trop encombrante et je suis allé faire le faux cul chez le sénateur. Le féliciter pour sa réussite Car il invitait pour fêter la réussite d’un projet. Façon polie de dire qu’il voulait se faire mousser. Donc je lui ai passé la couche de cirage protocolaire. Malgré tous mes efforts pour arriver le plus tard possible à la limite des convenances, c’était encore trop tôt, le légat n’était pas encore là. Je bois quelques coupes, je sors quelques politesses bien placées (ça pourra servir plus tard), je passe un bon moment à discuter avec un homme de la sécurité. Soi disant pour le boulot mais surtout car c’est un ancien camarade de promo que je charrie car j’ai accès au buffet et pas lui. Puis enfin, le hurleur comme je surnomme celui dont le job consiste à couper les conversations en gueulant les noms fonction titre et tout le tralala des nouveaux arrivants annonce : « Sérénit. Ambassadeur des territoires du sud. »

Je fais la grimace, c’était un peu juste. Je savais qu’il portait une sorte de titre de caste. Le mec avait dû simplement l’omettre ne sachant traduire de même, il avait reprit le diminutif de son nom. Pas très professionnel. Le légat ne paraissait pas s’en offusquer. Je ne sais comment le décrire. Le terme qui me vient serait de dire qu’il rayonnait. Pas au sens propre mais cet homme a une présence à faire pâlir les grands de notre île. D’ailleurs, les moues genre je n’ai rien remarqué cachent en général des sentiments d’envie mais lui parait au milieu de cela comme un poisson dans l’eau. On ne peut pas dire qu’il dénote. Il est habillé comme nous tous avec une toge pourpre signe du rang d’ambassadeur mais il la porte mieux que les autres. Peut être juste sa jeunesse. Bel homme, les femmes le suivent des yeux. Charme exotique sans doute d’une peau brune rehaussée de grands yeux clairs. Il porte pour tout bijou une sorte de diadème fin. Comme un anneau d’or sur le front. et sur le haut du bras un tatouage incrusté de diamant. Ca doit représenter quelque chose dans son pays mais j’en ignore la signification. J’ai bien envie de lui foncer dessus, le mener à l’écart pour parler de mon affaire et rentrer me réconcilier avec ma femme mais ça aurait été peu délicat aussi je fais mine de rien, papotant avec les uns et les autres tandis qu’il se lance à son tour dans les félicitations d’usage serrant des pinces de ci, de là.

« Vous vouliez me voir ? »

Il avait trouvé le seul moment où je m’étais absorbé dans autre chose, ici en l’occurrence le décorticage peu réussi d’une grosse crevette pour arriver derrière moi. Je n’allais pas me laisser décontenancer pour si peu. Je prends une serviette sur le buffet et m’active dans le nettoyage de mes mains. Je connaissais cette tactique dont il abusait. Il paraissait toujours tout savoir, c’est déstabilisant. Sachant déjà les rumeurs selon lesquels les dirigeants des terres du sud seraient tous des sorciers qui vénèrent la mort et brûlent les chats. (Il faut toujours que les gens inventent n’importe quoi dès qu’ils ne connaissent pas). Tout comme son prédécesseur, je le soupçonne de bien rire de ses rumeurs et loin de démentir, il parait plutôt laisser planer le doutes voire par quelques tours l’accentuer. Je ne suis pas un naïf, je ne me laisse pas faire si aisément. Il était tout à fait logique que je cherche à le voir et deviner que j’étais là pour ça était des plus aisés.

Je lui sers mon plus beau sourire, le modèle que j’utilise expressément pour remercier d’avance de ce que je pourrais obtenir : « Légat Sérénité, votre présence nous fait honneur. »

Tout comme j’aime faire deux choses à la fois, j’aime aussi dire deux choses à la fois. Ainsi, je le flatte doublement d’abord en lui parlant d’honneur, ensuite en l’appelant par son nom. Je ne sais pas pourquoi tous ici se braque sur ce diminutif. Enfin si, je le sais, parce que Sérénit sonne comme un nom d’ici et Sérénité, ce n’est pas un nom. Je ne suis pas d’accord, il n’est pas d’ici, il est inutile de trouver des traductions à un nom. Dans le sud, ils n’ont pas de noms abstraits. La raison en est simple, ils n’ont pas d’alphabet mais une écriture sous forme de pictogramme. Chaque pictogramme représente un mot, voire plusieurs. C’est suffisamment compliqué comme ça. On ne va pas en rajouter d’autre pour chaque prénom donc les gens là-bas, prennent un pictogramme déjà existant et s’en serve de nom. Il parait que c’est barbare. Je ne vois pas en quoi.

Je suis assez au courant de ces choses-là, car moi-même, j’ai un père de là-bas. Enfin c’est plutôt ma grand-mère qui était de là bas. Elle s’est exilé ici à la naissance de mon père car d’après ce que j’ai compris, mon père était issu d’une relation peu avouable. Ma grand-mère a toujours refusé de m’en dire plus justement parce que ce n’était pas avouable. En tout cas de son point de vue. Bref, elle est arrivée ici enceinte jusqu’au yeux et elle a eu mon père et a fait sa petite vie comme ouvrière dans une usine de tissu. Vingt ans après, mon père rencontre ma mère, très jolie femme excentrique imaginant les territoires du sud comme une sorte d’éden et fantasmant sur tout ceux venant de la bas et par conséquent tombe amoureuse de mon père (ou plutôt de ses origines) elle fait un enfant (moi), Décide de suivre les coutumes des territoires du sud en m’affublant d’un prénom ayant une signification, ce qui est normal a mon avis chez eux mais ridicule pour un gars de chez nous. Révolte de mon père, homme censé et droit qui s’imaginait déjà mes petits camarades se moquant de moi. Disputes, concessions de chaque coté. Mon père accepte les idées farfelues de ma mère mais c’est lui qui choisit mon prénom. Je serais nommé Silicium dont le diminutif de Siliss passe bien. Prenant du grade, je gagne même un y à mon nom se transformant en Syliss et personne ne se souvient plus de mon prénom d’origine. Merci papa, que ton séjour éternel dans le paradis originel te procure joie et bonheur. J’avais hésité le jour où je me suis retrouvé la première fois face au légat à me présenter sous le nom de Silicium mais je me sens d’ici, je suis fier d’être originaire de la plus puissante île du monde et je ne vois pas pourquoi ressortir ce nom qui n’est que la résultante d’un caprice de ma mère. Depuis d’ailleurs, elle a fait plus fort puisqu’à la mort de mon père, elle a assouvi son rêve, elle est partie s’installer là-bas. Je n’ai pas de nouvelle depuis, on a pas trop de moyen de communication avec ce continent. Du moins théoriquement car vu les informations que possède le légat je ne serais pas étonné qu’ils aient un bon réseau d’espionnage même si on ne leur a pas trouvé de satellite.

Je réfléchis. J’avais déjà pensé à ce que je dirais au légat mais là, face à lui, mes mains puant la crevette, je ne sais plus.

Je me lance : « j’ai renvoyé le responsable de cette odieuse incursions sur vos terres ».

- Bien »

Il n’en espérait pas moins à ce que je constate. Un mur ce type. Toujours souriant mais impossible à déceler la moindre émotion. Il pourrait dire quelque chose, ok c’est une violation du traité mais de là à descendre cinq navettes !

Je continue : « cette affaire est très regrettable. Je ne cherche pas à pardonner le comportement de mes hommes. Je pense que le commandant a été un peu vite en besogne. Une sale affaire qui nous préoccupe.

- Je suis au courant ».

Au courant de quoi petit père ? Je ne pose pas la question. Je m’en tiens à ce que j’avais prévu : « Cela dit, détruire ces appareils était exagéré, il n’y avait nulle attaque…

- C’est votre commandant qui vous a dit que ces navettes avaient été détruites ? » Il lève son verre, admire la robe sombre d’un des meilleurs cépage de l’île et le porte à ses lèvres.

Etonnement, doute, espoir de ma part. Je n’avais pas pensé une seconde que le commandant aient pu dire que ses navettes avaient été descendues sans preuve : « Oui, ce n’est pas le cas ? »

Sérénité plisse les yeux, il me fixe, un frisson me traverse, comme un courant d’air froid ici. Son regard me transperce.

« Nous avons désactivé nos missiles, vous vous en souvenez non ? Il insiste « en preuve de notre bonne foi »

- Mais alors.

Il m’arrête. « Ce n’est ni le lieu ni le moment pour ce que vous souhaitez négocier. Prenez rendez-vous à mon bureau.

- Bien sur, je ferais ainsi, j’estimai juste que cette affaire était importante et je vous sais très pris durant le mois à venir. » Ainsi que tous les autres mois.

Attention, je croise les doigts, la proie va-t-elle faire sauter un rendez-vous pour me recevoir ? Oui, non, pointe d’hésitation, sourire. « Venez me voir demain. 19h »

Gagné. Il est bien rare que le monsieur accepte de faire des heures supplémentaires.

Je l’en remercie, « je serais à 19h à votre bureau.

« Négatif Syliss, vous connaissez ce qu’on dit de moi ? »

Je ne réponds pas, on en dit beaucoup sur lui et peu de bien, comme tous ceux du sud. Il continue : « Outre le fait qu’on me traite d’égocentrique, de prétentieux, de gosse, de sorcier et de dépravés, on dit aussi que je suis un épouvantable fainéant. »

Je bafouille quelques mots genre « mais non, personne ne dit rien de tel. » Je le dis doucement, le mensonge m’étouffe.

Il n’est pas dupe : « mais ils ont raisons. En tout cas sur ce dernier point » ajoute-t-il en souriant. Un petit sourire en coin genre mystérieux tout en portant sa coupe à ses lèvres.

« Je quitte la tour tous les soirs à 18h précise et je ne ferais exception ni pour vous ni pour le couple présidentiel lui-même. Je vous invite à dîner chez moi. 19h et ne soyez pas en retard. » Il me tend la main. Je la lui serre.

Il sourit. « Vous n’imaginez pas tout ce qu’on apprend d’une bonne poignée de main. »

Il n’a pas attendu la réponse, il s’est détourné de moi comme si je ne présentais plus le moindre intérêt. C’est vrai qu’il est prétentieux, un sale gosse prétentieux. Je frissonnais encore sans raison. Aller chez lui ne me disait rien qui vaille. Dans son bureau, dans la même tour que moi, même s’il est dans ce mystérieux dernier étage, c’est tout de même un endroit sécurisant. Chez lui, je ne sais pas, une expression me vient : l’antre du dragon. Je ne sais pas pourquoi. Je me rends compte que c’est moi le gosse, pourquoi j’ai de telles idées ?

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