dimanche 25 novembre 2007

Chapitre 3

Le dragon. Maître des éléments, niche sous terre, est paré d’écaille comme les poissons et vole dans les airs. La légende dit qu’il est capable de cracher du feu. Je n’ai jamais vu un dragon cracher autre chose que de la bave corrosive. Je pense que cette idée est émise pour en faire une belle histoire d’un animal maîtrisant les quatre éléments. Pour ma part, cet animal est bien suffisamment impressionnant par sa taille pour qu’on en rajoute. D’autres disent que les maîtres des territoires du sud ont réussi à les domestiquer et parlent leur langue. On en dit tellement à leur sujet. Déjà, les dragons ne parlent pas. Après faut relativiser, le seul dragon que j’ai vu, c’était dans une réserve, un gros lézard traînant ses ailes Cette race est quasiment éradiquée et ne tardera pas à rejoindre ses camarades reptiliens géants dans la série des animaux disparus. Ces animaux faisaient trop de mal aux élevages de bétails, les nids ont été traqués au fond de leurs galeries souterraines et les œufs détruits. Seul quelques spécimens vivent encore dans les montagnes loin à l’est sur le continent.

Je ne sais pas pourquoi Sérénité me fait penser à cet animal. Quelque chose dans le regard peut-être. Quelque chose de sournois, machiavélique.

Je commence à me monter la tête moi. Sans doute ma femme. Je suis rentré assez vite après mon entretien avec le légat. Juste le temps de sortir encore quelques compliments pour ne pas avoir l’air d’être venu juste pour voir Sérénité. Ensuite, j’ai retrouvé mon épouse qui ne dormait pas encore. Vu la fine étoffe et sa pose alanguie, elle m’avait pardonné mon absence de ce soir. Elle m’a dit qu’il était encore temps de fêter notre dix huitième anniversaire. Elle est comme ca, vive, impulsive, capable de belle colères mais vite oubliées. Et puis, elle a la peau douce comme de la soie et de longs cheveux blonds comme les blés. Dès que je sens son parfum, j’oublie tout. Je peux travailler comme un acharné, dès que je me retrouve dans ses bras, c’est pour moi un petit moment de vacances et là une seule pensée me revient jour près jour : la vie est belle. Quelques soient les horreurs des enquêtes qui m’accaparent, tous les matins je me réveille à ses cotés me disant que la vie est belle et là, je serais capable de déplacer des montagnes. Et dire que les mauvaises langues disaient qu’elle me porterait malheur. Tiens, aujourd’hui, je prends ma matinée pour rester avec elle. Ce sera une façon de fêter l’anniversaire de notre rencontre puisqu’elle y tenait. Par contre, sa superstition porte sur les nerfs a force. Je lui ai dit que j’étais invité à dîner chez le légat. Elle m’en a fait une comédie. Elle dit qu’il a le mauvais œil, que les dirigeants des territoires du sud sont dangereux. Je ne peux pas lui en vouloir, ça fait partie du folklore de son peuple. Nous nous en sommes bien servi jadis, quand on s’est mis en tête de s’annexer ses provinces du continent, nous n’avons même pas eu à nous battre. Nous nous sommes présentés comme des protecteurs, ceux qui étaient capable de vaincre les territoires du sud et nous avons été acclamé en héros. C’est prétentieux. Malgré de nombreux conflits, nous n’avons jamais réussi à les vaincre, nous les maintenons à distance, voila tout. Nous ne tenons pas à entrer dans une guerre qui même si elle tournerait sans aucun doute à notre avantage prendrait la vie de nombreux des nôtres. Mais ça a suffit pour être vénérés par ses provinces peuplées d’hommes primitifs.

« Le légat te mènera à la baguette, il fera de toi un pantin soumis à sa volonté, voila comment agit la magie des territoires du sud. »

Ca y est, c’était reparti. Où était la douce et tendre femme qui se cambrait dans mes bras cette nuit ? Parfois j’ai du mal à croire que c’est la même femme.

« Ma chérie, le légat n’est pas un sorcier.

- Ceux du sud vénèrent la déesse de la mort.

- Ma chérie, le légat ne vénère pas la déesse de la mort.

- Ils savent lire les pensées.

- Ma chérie, le légat ne sait pas lire les pensées. » Je l’arrêtais avant qu’elle reprenne sa rengaine. « Il ne communique pas non plus avec les dragons et ne brûle pas les chats ». Comme ça nous avions fait le tour des rumeurs.

Elle allait répliquer mais je mis un doigt sur ma bouche en désignant la porte. Les enfants descendaient, j’avais assez de ma femme pour avoir aussi leurs histoires.

« Qu’est-ce qu’on mange ? »

Ca, c’est ma fille qui arrive et s’installe à table. Elle tend son assiette en souriant. Je suis fier de ma fille. Elle s’appelle Dhaïs, elle a huit ans. Elle est belle comme sa mère, intelligente et obéissante. Oui, j’ai de quoi en être fier.

« Ho non, encore du poisson. On bouffe toujours la même chose dans ce taudis. »

Ca c’est mon fils Ounis. J’en étais fier et je le serais à nouveau bientôt. J’espère. Il a quinze ans. Lui aussi a de la cervelle. C’est juste qu’en ce moment il la cache bien. Toujours d’après les ragots, s’il s’habille comme une serpillière et en a le même maintien, c’est car on l’a eu trop tôt. C’est vrai, j’avais à peine vingt ans quand il est venu au monde. Je ne pense pas que ce fait ait eu une quelconque influence dans son comportement actuel. Il tient trop de moi, voila tout. Moi aussi à son age j’étais intenable. Ensuite j’ai fui sur le continent, j’ai ramené ma femme, je l’ai épousée à dix sept ans un peu aussi pour faire enrager mes parents et nous avons fait un enfant aussi pour faire la nique a ceux qui nous regardaient de travers. Pour autant, je me suis rangé et personne ne peut renier ma réussite. Il se calmera aussi. Je suis confiant.

« Ounis, tiens-toi correctement. »

Soupir désespéré comme si je lui avais demandé de me décrocher la lune.

« Qu’est-ce qui ne va pas man ? » Ca, c’est la petite Dhaïs, elle a hérité de moi la capacité de ressentir dans une certaine mesure les sentiments des autres. Elle ne pouvait ignorer que quelque chose taraudait ma douce et tendre épouse.

« Rien ». Réponse simple de me femme qu’elle traduira aisément par : ça ne te regarde pas.

« Man râle car papa doit aller chez le légat et qu’elle croit qu’il va lui lancer un envoûtement vaudou ou un truc du genre. »

Je lançai un regard assassin à mon premier né. Que je raisonne ma femme, c’était une chose. Qu’il critique sa mère une autre. Et puis d’abord comment savait-il ça ?

Il était parti maintenant dans le triturage de son assiette « Si vous ne voulez pas que je me mêle de vos affaires, vous n’avez qu’à vous disputer moins fort, on vous entend de ma chambre.

- C’est vrai ce qu’on dit sur les territoires du sud, qu’ils…

- Non c’est faux. » Je n’avais même pas entendu la question de ma fille, ses yeux brillants parlaient d’eux même, elle allait me sortir encore un ragot de trottoir, mon fils en rajouterait avec des histoires aussi horribles qu’absurdes dans l’unique but de lui faire peur. Ensuite, elle aurait des cauchemars, je serais bon pour me lever et ma femme imaginerait que ce sont des esprits qui lui parlent où je ne sais quelle fadaise.

Je suis parti

Parfois, le boulot est plus reposant que la famille. J’ai brassé du vent toute l’après-midi. Encore un enlèvement et toujours aucun indice. Je n’ai pas eu le loisir de m’attarder sur cette affaire. Et puis évidemment cette incursion dans le sud. « Ceux du sud nous ont fait exploser cinq navettes, c’est inadmissible. » Je fais remarquer qu’elles faisaient de l’espionnage. « S’ils ne fermaient pas leurs frontières ainsi de telles bévues n’arriveraient pas et que j’ai encore de l’espoir que les navettes n’aient pas été détruites. « Qu’est ce qu’ils nous cachent ainsi ? Ce sont des barbares. Parait qu’ils y avaient des pilotes survivants et que les sauvages leur ont broyé les os avant de les écorcher pour ensuite brûler leur peau à la gloire de la déesse de la mort. »

Rien que ça.

J’en ai fini par réunir quelques membres de mon équipe pour faire passer le mot : Réunion extraordinaire dans une demi heure. Évidemment, dans un tel délai, je n'ai pas pu avoir tous les représentants mais ceux qui seraient présent diffuseraient l'information.

Vu l'animation, heureusement qu'on n'était pas plus nombreux. Ca a gueulé dès mon entrée. Il y en a qui ne demanderait pas mieux que de se lancer dans un conflit armé. J'ai laissé les excités s'essouffler en criant au scandale, tapant du poing sur la table en évoquant les appareils détruits, traitant le continent du sud avec des termes que même moi je me refuse à répéter. Parlant de déclaration de guerre et de violation.

Là j'ai mal joué. J'ai cru qu'ils s'étaient essoufflés alors qu'ils se contentaient de reprendre une petite inspiration et j'ai fait remarquer que la seule violation de quoi que se soit était de notre part en pénétrant dans leur espace aérien. Malheur, que n'avais-je pas dit là ! A les entendre, je trahissais l'île. J'ai laissé le ton remonter et les différents protagonistes se gueuler dessus puis quand le ton est redescendu, je suis intervenu à nouveau en réclamant le silence.

J'ai fait mon intervention, claire et concise. Relatant les faits. Du moins, je le pense :

« cinq de nos navettes ont effectué une opération tout a fait illégale dans le sud, le responsable de cette incursion a été démis de ses fonctions. Ceux du sud se sont défendus, nous ignorons actuellement ce qu’il est advenu des navettes et de leurs pilotes. Je vois le légat ce soir. ( qui ne devrait être au courant de rien vu le manque de communication avec le sud mais qui le sera tout de même comme à son habitude) Je vous tiendrai informé de l'avancée du dossier ».

Certain ont voulu répliquer mais j'ai bien précisé qu'il était hors de question de laisser nos émotions prendre le dessus sur cette affaire et que pour l'instant, nous n'avions même pas la certitude de la mort de ses pilotes.

Je me suis refusé à dire quoi que ce soit d'autres. Si je permettais la moindre question, je serai assailli et de toute façon, je n'en savais pas plus. J'espérai de tout mon cœur que les pilotes étaient encore en vie. Déjà pour eux et leurs familles mais aussi pour limiter la portée de cette affaire qui pouvait s'envenimer jusqu'au conflit.

Ils ont fini par sortir de mauvaise grâce et discrètement, j'ai demandé à Garii de me rejoindre dans mon bureau.

Garii est journaliste et il a la particularité d'être moins incompétent que ses confrères. Ses articles sont souvent dénigrés et perçu comme fade. C'est vrai et la raison en est simple, il se borne à répéter les faits sans tenter d'enjoliver, interpréter et autres artifices rédactionnels qui transforme la moindre vieille marchant sur une merde en une victime du laisser aller de la cité.

C'est pour ça que je l'ai embauché à mon service au grand étonnement général.

Garii n'avait pas dit un mot durant la réunion. De toute façon, il garde toujours une position d'observateur. Jamais il ne se permet le moindre jugement.

Je l'ai fait entré dans mon bureau, je lui ai répété les faits en lui précisant bien que je voulais à tous prix éviter que la population s'échauffe à ce sujet. Je connais trop bien la méfiance générale envers les territoires du sud, pas besoin d'en rajouter.

Garii s'est contenté d'acquiescer. Je savais que je pouvais lui faire confiance. A vrai dire, je n'aurai même pas eu besoin de le voir en privé pour lui préciser mais on n'est jamais trop prudent. Au moins j'étais sur d'avoir de sa part un bon article laconique comme il se doit dépourvu de la moindre émotion ou jugement de valeur sur le sujet. A vrai dire, je ne suis même pas sur que Garii soit capable d'avoir un avis à lui

Avec tout ça, pas le temps de me changer avant d’aller voir Sérénité. D’un autre coté, me changer aurait voulu dire passer par chez moi et donc avoir les supplications de ma femme comme si aller diner chez le légat revenait à remettre mon âme à je ne sais quel démon.

Je frissonnai cependant devant la demeure du légat. Immense bâtisse en forme de pyramide comme ils aiment à construire. C’est sur qu’à force de baigner dans ses contes pour enfant, on finit par s’en imprégner. L’antre du dragon. Voila que je recommence avec mes idées à la con.

Tout ce qu’il y a face à moi, c’est un parc bien entretenu. Un étang où quelques canards fainéantent au bord de l’eau. Un grand saule pleureur, quelques fauteuils extérieurs, une vaste terrasse, encore des vasques d’eau. Je frappe à la porte. Il est pile dix-neuf heures. On me fait entrer. Une servante sans aucun doute. Jeune, mignonne, teint bronzé et accent chantant pas d’ici. Monsieur importe son personnel de chez lui. Pas que le personnel d’ailleurs. Le vaste hall d’entrée est recouvert d’un épais tapis aux motifs exotiques dans un dégradé d’ocre, quelques sculptures de pierre d’une finesse remarquable. Sur ma droite une salle immense. Des coussins, une large cheminée de pierre une marqueterie compliquée alterne avec la pierre, des tentures de lins clairs sur de larges baies vitrées. C’est qu’ils font de jolies choses dans le sud malheureusement, ils n’en font pas le commerce. C’est une erreur de leur part, ca pourrait leur rapporter beaucoup. Je n’en vois pas plus, on n’entre pas. Je suis la servante et ressors de l’autre coté par un angle de la pyramide. Encore une terrasse. Sans doute fait-elle le tour. Une piscine avec déversoir en cascade, la vue sur les collines. On se croirait perdu dans la campagne pourtant les remparts ne sont qu’à quelques centaines de mètres.

Ca en jette faut l’avouer. La servante est repartie. J’attends. J’hésite à m’asseoir, je suppose que mon hôte ne tardera pas.

« J’aime la vue ici. »

Je me retourne. Le légat est étendu sur un transat en bois couvert de coussin. Je ne l’avais pas vu. Comment avais-je pu être si distrait. Sans doute ne m’attendais je pas à la voir là. Je lui sors les politesses d’usage. Honneur pour moi d’être ici, compliment sur la décoration de sa demeure. Enfin, le baratin d’usage. Il me fait signe de m’asseoir dans un canapé de jardin, le même que le sien. Je m’exécute. Il est habillé à la mode de son pays dans une sorte de drapé de tissu chatoyant et les pieds nus. Ca lui va bien

« Monsieur le chef de la sécurité désire-t-il boire quelque chose ? »

Je sens du sarcasme dans sa voix. Je lui fais remarquer que c’est un peu pompeux.

« Comment vous appelle-t-on alors. Je ne connais même pas votre grade ?

- En fait, on m’appelle chef. C’est simple et court. A force d’entendre tout le monde m’appeler ainsi, même les sénateurs s’y sont mis. C’est devenu comme un surnom. »

Il me regarde. Son sourire est inquiétant, c’est un fait. « Vous vous rendez bien compte que jamais je ne vous appellerais ainsi.

- Vous pouvez m’appeler à votre convenance. En récupérant le poste de chef de la sécurité, j’ai aussi acquis le titre de Syhï.

- Bien Syhï Silicium, je peux vous proposer de l’alcool de rose.

- Je suis flatté mais je préfère éviter l’alcool. (Ça ne me réussit pas) Une eau au citron.

- Une eau au citron alors » marmonne-t-il en soupirant. Je l’ai déçu là. Le goût excessif du légat pour l’alcool n’est un secret pour personne. D’un autre coté je l’aurais encore plus déçu s’il avait vu l’effet que l’alcool pouvait avoir sur moi et il n’y a pas de pot de fleur à proximité.

Je m’interroge. Comment connaît-il mon vrai nom. Tout le monde m’appelle Syliss. La réponse est évidente, il est loin d’être le fainéant qu’il veut faire croire. Peut-être refuse-t-il les heures supplémentaires mais il doit en faire sur le réseau à chercher la moindre petite information. Je ne serais pas étonné que ce soit là la base de la magie dont les naïfs le soupçonnent. Se tenir au courant, être maître de la connaissance, voila une belle source de pouvoir. AU fond, même nous, sans les écrits néfilims, nous ne serions pas beaucoup plus avancés qu’eux. Après, connaître mon état civil veut juste dire qu’il a piraté mon dossier. Rien de bien difficile, à la portée d’un enfant. Jusque là, je ne suis pas impressionné. En tout cas, j’essaie de m’en convaincre. Une femme arrive, un plateau à la main. Ce n’est pas la même servante. J’ai failli me faire avoir, pourtant ça saute aux yeux. Ce sari brillant, ses yeux clairs, cette prestance. Ce n’est pas une simple servante ça. Elle pose son plateau sur la table. Un verre de citron devant moi, glacé avec une rondelle de citron frais. Pile ce que j’avais demandé pourtant il n’avait pas transmis d’ordre. La femme devait nous observer. D’où ? Je ne sais pas. Je me lève pour la saluer selon son rang. Elle fait mine de repartir effleurant Sérénité d’une main fine parée de bracelets d’or. Il attrape ses doigts, les portent à ses lèvres avant de la laisser s’en aller.

Il me nargue ou quoi. Il faudra que je lui parle. On s’était mis d’accord, il devait être le seul des territoires du sud à avoir accès à notre île. De toute évidence il a rameuté du monde et il ne s’en cache pas. C’est une provocation.

« J’espère que ça ne vous gêne pas, j’ai invité mon amie à me rendre visite avec mon fils. Je le vois rarement. »

Vu comme ça, évidemment, c’était légitime. « Vous auriez dû prévenir que vous aviez une épouse et un fils nous aurions pris des dispositions. »

Il sourit encore. « Je n’ai pas d’épouse et j’ai plusieurs fils. »

Allusion claire. Sans doute ses enfants étaient-ils de plusieurs femmes. S’il pensait me choquer, c’est raté. Il peut mettre dix femmes dans son lit, ce n’est pas mon problème mais en effet, il ne vaut mieux pas qu’il les ramène.

Allez, sus aux priorités. « Mes hommes ? Les pilotes des navettes ? Les familles s’inquiètent. Vous m’avez laissé à penser qu’ils pourraient être en vie.

- Sans doute.

Il hume son verre, y trempe le bout des lèvres avant de le reposer sur la table.

Je pose mon verre à coté du sien de façon suffisamment bruyante pour lui rappeler ma présence.

« Je vous l’ai dit, cette incursion dans votre territoire était une bévue regrettable. J’ai fait mes excuses, maintenant J’ai des familles de pilotes qui tremblent sans savoir si leur mari ou leurs pères sont encore en vie. Que dois-je leur répondre ?

- Ils sont en vie.

- Les cinq ?

- Oui. Évidemment »

Soulagement, je me laisse aller contre les coussins de mon canapé.

« Qu’est-ce que vous imaginez ? Qu’on écorche les hommes qui passent, qu’on violent les femmes et fait brûler les enfants ?

- Bien sur que non.

- Pourtant je l’entends bien souvent.

- Vous ne vous démenez pas pour faire taire ses rumeurs absurdes. » C’était sorti tout seul mais c’est vrai aussi, il ne pouvait pas reprocher une croyance populaire que lui-même attisait par simple plaisir pervers

- Plus vos gens auront peur de nous moins nous aurons leur indésirable visite. » C’était pas loin d’être un des raisonnements les plus tordu qu’il m’avait donné à entendre. Justement, c’est la méfiance vis-à-vis des territoires du sud qui donne envie de leur donner une bonne leçon. Je tentai de formuler ça de façon diplomatique

- Je ne suis pas sur. Savez vous quelle était la mission des pilotes en question ?

- Bien sur, espionnage. Votre commandant de division s’est imaginé dans son cerveau bien trop petit qu’on était pour quelque chose dans la disparition de certains de vos concitoyens. »

Donc ils avaient fait parler les pilotes. Sans doute de force. J’espère qu’ils ont vite craché le morceau. Ca n’avait rien d’héroïque de garder secrète une mission aussi bête.

« Je suppose que bien sur, il avait tort.

- Voyons Syhï Silicium, je viens de vous dire que nous ne voulons pas de vos hommes chez nous et que nous faisons tout pour les dégoûter de fourrer leur nez dans nos affaires. Ce n’est pas après pour en enlever de force. »

Il s’approche de moi.

« Faites passer le message. Tout ce qui est étrange ne vient pas forcement du sud.

- D’où alors ?

Il hausse les épaules. « Qu’est ce que j’en sais ?

Les plats arrivent sur la table basse entre nous. Pas une entrée, plutôt une dizaine de petits plats différents à grignoter. Brochette de viande, petits pains fourrés, légumes frits. C’est bon.

« Je pense que vous en savez bien plus que vous ne voulez nous divulguer.

- Qu’est-ce qui vous fait penser cela ?

- Je ne sais pas. Peut-être que moi aussi j’ai des pouvoirs de sorciers. L’instinct on appelle ça. »

Eclat de rire

« Vous me plaisez Silicium

- Alors commencez par me dire ce qu’il est advenu des pilotes et des navettes.

- Les navettes, nous les gardons. Légère compensation vis-à-vis de la violation du traité qui nous lie. Elles sont chez nous, elles sont à nous. Ainsi a été convenu notre traité. Les pilotes sont libres, bien entendu et sont fortement encouragés à quitter nos territoires. »

C’était pour moi un vif soulagement mais je ne le laissais pas paraitre, je ne devais pas me contenter de les savoir en vie.

- Ils sont libres dites vous mais je ne les ai pas vu revenir pour autant.

- Et puis quoi encore. Vous voudriez sans doute qu’on les ramène en première classe avec quelques femmes pour les distraire ? Ce serait avec plaisir malheureusement il n’y a pas de vol de liaison entre votre île et les nôtres alors ils devront se débrouiller, notre civilisation simple et primitive n’a pas les fonds nécessaires pour apprêter un avion pour le confort de vos espions.

- Comment voulez-vous qu’ils fassent ?

- Je ne sais pas moi, qu’ils se débrouillent. Ils n’ont qu’à travailler un peu, se faire engager sur un bateau, de là rejoindre le continent noir et marcher quelques mois jusqu’à la mer intérieur où ils trouveront bien quelques amis à vous, sinon allez les attendre à la limite de nos eaux territoriales. »

Je réfléchis sérieusement à cette dernière proposition. Les dernières coordonnées transmises par les pilotes étaient proches du tropique. Ils avaient dû être forcé d’atterrir sur une des îles principales. Le continent du sud était formé d’une myriade d’île. Sérénit conclut à ma place :

En plus, vous pourrez organiser le sauvetage tranquillement dans quelques mois, le temps qu’ils parviennent jusque là

- Soyez raisonnable.

- Je le suis. »

Evidemment il l’était. Quel esprit tordu. Je me fends d’un sourire. J’ai peut-être une idée. « Et si nous disions que vous les faisiez ramener discrètement avec la navette qu’utilisera la prochaine de vos maîtresses qui viendra vous rendre une visite de courtoisie qu’elle n’a pas lieu de rendre ? »

Je l’ai surpris là. Pour la deuxième fois de la soirée. Il hésite. Il repart dans un grand éclat de rire. « Vous me plaisez vraiment. Vous avez beau faire tout votre possible, on voit bien que vous n’êtes pas d’ici. Vous avez hérité d’un tempérament du sud. Peut-être même un peu plus. Les yeux dorés de votre grand père sans doute. »

Je ne réponds pas. Je ne me laisse pas avoir à ses provocations. Mes origines du sud, facile à trouver avec un logiciel de généalogie. Quant à mon grand père, facile à savoir qu’il n’y a de trace de lui nulle part donc il peut bien inventer n’importe quoi à son sujet, personne ne pourra vérifier. J’ai écourté ce dîner, j’avais l’impression qu’il se moquait de moi. Mais je lui fais confiance, je suis sur que les pilotes seront bientôt là. C’est quelqu’un de sensé. De trop fier, qui aime se jouer de la superstition des gens mais pas idiot il ne veut pas plus que moi que la situation entre nos deux peuples dégénèrent et il sait que la moindre étincelle risque de mettre le feu à nos deux grandes puissances. Il ne s’y risquera pas

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