dimanche 25 novembre 2007

Chapitre 6

« Un peu plus à gauche. Non pas autant, reviens. Voila, encore un peu. A peine. Là, c’est parfait.

- Ha houai Pa, c’est sur, c’est les deux millimètres qui font toutes la différence.

- Ce sont Ounis, on dit ce sont les deux millimètres. »

Encore un soupir de sa part. Je ne les compte plus.

« D’où tu es, Tu vois ton frère Dhaïs ?

- Oui » répond la petite fille à l’autre bout du parc.

- Tu le vois bien ?

- Oui. J’ai froid pa, on peut rentrer.

- Deux minutes.

Je dis à mon fils de rejoindre l’entrée et crie à ma fille : « Dis-moi dès qu’il sort de ton champ de vision.

- D’accord, je peux m’asseoir ?

- Non.

Silence.

Ounis a presque atteint les grilles du parc.

« Tu le vois encore ?

- Oui, un peu. Sa tête dépasse.

La victime mesurait quelques centimètres de moins que mon fils. « Baisse-toi » lui dis je.

Pas autant. Il s’était mis à genoux continuant à marcher comme une grenouille. A croire que c’est encore un gamin. Il se tasse juste un peu.

« Et maintenant Dhaïs ?

- J’ai froid.

- Oui, mais tu vois ton frère ?

- Oui.

Je me déplace jusqu’à ma fille. En effet, Ounis est visible tout le long du chemin. Donc, même s’il était parti de son plein gré, il aurait dû être remarqué. Pourtant, la veille, un homme avait encore disparu sous les yeux de sa femme qui le guettait à l’endroit où se trouve ma fille. Dans sa déposition, elle indique : je l’ai vu arriver, je lui ai fait signe et soudain, il a disparu. Je le voyais puis d’un coup, plus rien. On n’a rien pu avoir de plus cohérent. A croire qu’il s’est volatilisé. Absurde.

« Je peux bouger ? »demande encore ma fille. Je lui fais signe de se taire, elle m’empêche de réfléchir.

« C’est pas comme ça que tu dois t’y prendre » lance Ounis. « Il faut dire : Pa, je vais dire à Man que quand tu vas me chercher à l’école, tu m’obliges à faire le piquet jusqu’à la nuit dans le froid car ses hommes n’acceptent pas de se faire malmener ainsi.

Il a raison, le bougre. Il fait déjà sombre, je n’avais pas remarqué. Et ma fille grelotte. Ok, on rentre. Je ne m’étais pas rendu compte qu’il était si tard.

Et c’est vrai qu’il fait froid. Le ciel se couvre dirait-on. Je resserre mon manteau et attrape la main de ma fille. Elle se met à hurler. En voilà des façons ! Elle ne va tout de même pas avoir peur de son père maintenant. Les yeux exorbités, elle scrute le ciel. Je lève les yeux et j’ai juste le temps de me plaquer au sol entraînant ma fille sous moi pour la protéger. L’ombre immense passe au raz de nos corps avant de décrire un arc de cercle autour de la colline et de reprendre de l’altitude. Je me relève et relève ma fille.

Ca va ma puce ?

Elle ne répond pas, elle tremble comme une feuille mais elle n’a rien de cassé. Enfin, je pense. Ounis ! J’avais presque oublié mon fils. Je l’appelle sans résultat, commence à m’affoler puis je perçois son ombre un peu plus bas. Il n’a pas bougé d’un centimètre et ne répond pas. je veux me diriger vers lui mais Dhaîs s’accroche à mon cou. « Me laisse pas pa ! ». je me retiens de lui dire qu’elle peut marcher, je vois bien qu’elle n’est pas en état. Je la soulève dans mes bras et descends précautionneusement la colline jusqu’à mon fils. Il n’a toujours pas bougé.

Je le secoue un peu par l’épaule.

Ca va aller que je lui dis.

Je le répète plusieurs fois sans qu’il ait de réaction.

Puis petit à petit, il commence à se détendre et remarque : C’était un dragon.

Au moins, s’il le disait c’est que je n’étais pas victime d’hallucinations. Ha oui, je pense. J’avais pas trop regardé mais c’est sur que ca se confond pas avec un aigle ce genre de bestiole. Je tente de rassurer mon fils : il est parti, il n’y a rien à craindre

Et il n’avait à voir avec celui de la réserve, il est au moins dix fois plus gros.

Facilement oui. C’est une bête sauvage, en captivité elles grandissent moins. Mais ce genre de bestioles a été éradiquée depuis belle lurette sur l’île. On en trouve bien encore un ou deux dans les montagnes très à l’Est sur le continent mais ils ont leur territoire et n’en sortent pas. Je me dirige vers la sortie du parc ma fille toujours dans les bras. C’est fini lui dis-je mais elle refuse obstinément de me lâcher.

Ounis récupère plus vite et en tire ses conclusions : c’était trop trop cool.

Il peut bien dire ça après coup. Il n’avait pas été loin de mouiller son pantalon.

Sur la place, on retrouve un peu d’animation. Beaucoup même. Des petits groupes, des couples, des personnes seules, mais tous à regarder le ciel. Quelques tables de cafés sont renversées mais personne ne songe à les remettre en place. En tendant l’oreille vers les discussions, je comprends que l’animal a été jusqu’à se poser sur la place avant de reprendre son envol. Personne ne semble avoir été blessé aussi je continue vers l’appartement. La priorité, c’est mettre les enfants en sûreté. Partout, les gens sortent de chez eux, vont aux nouvelles. Les discussions vont bon train. Les témoins font passer l’information : Un dragon a survolé la ville. Je ne doute pas que la rumeur amplifie l’histoire. Avant la fin de soirée, il aura encore triplé de volume quoique, je ne vois pas comment on peut l’imaginer plus gros.

A la maison Ounis se précipite sur ma femme. Maman, on a vu un dragon ! Ounis part dans de grandes explications détaillées s’aidant de ses bras pour décrire la bête virer au dessus de la colline du parc et me prouve qu’en effet, il est capable de tripler la taille de la bête dans ses descriptions. Me femme n’écoute rien. Tout ce qu’elle veut savoir c’est s’il va bien. Mais lui tout ce qu’il veut c’est raconter son aventure.

Mais que faisait cet animal ici s’exclame soudain ma femme. C’est une honte, c’est dangereux. Il aurait pu avaler un de nos enfants ;

Elle me sort ça sur un ton de reproche. A croire que c’est ma faute.

Dhaïs en rajoute de sa petite voix.

Peut-être qu’il est venu voir le sorcier qui habite dans la pyramide.

Le sorc… ? Ha, Sérénit. Qu’est ce qu’il aurait à voir la dedans ?

Man dit que ceux du Sud, ils parlent avec les dragons.

Ta mère ferait mieux de se taire. Heureusement, je le dis trop bas pour me faire entendre. Plus haut je me contentais de faire semblant de rire et de faire remarquer que personne ne parlait avec les animaux et que les dragons ne parlaient pas, que c‘était juste des gros lézards .

Je ne pus tout de même pas retenir un regard de glace à ma femme qui m’en rendit un pire. C’est qu’elle s’y connait en froid. Je n’allais pas tarder à avoir les reproches qui commenceraient par me demander où j’étais avec les enfants si tard alors que le dîner refroidissait et finirait par une prédiction de fin du monde en rapport avec les dragons.

Au moins ça varierait de sa promesse d’apocalypse en rapport avec l’étoile de Nibiru.

Je dois dire que j’ai fait très fort. J’ai réussi à m’endormir alors que ma femme m’engueulait encore. Au moins, le lendemain, j’étais frais et dispo et, vu que ma femme boudait et refusait de m’adresser la parole, j’étais tranquille. J’ai repris les informations. Bien sur, ça ne parlait que de la présence du dragon expliquant avec tous les détails le trajet qu’il avait parcouru et quelques hypothèses sur sa présence. Les journalistes ont réussi à réunir les deux promesses de fléaux en imaginant que c’était la proximité de l’étoile de Nibiru qui perturbait le métabolisme des dragons au point de faire quitter leurs territoires à ces animaux casaniers.

Durant la journée, j’ai eu un comportement plus pragmatique. J’ai mis plusieurs équipes pour rendre compte des dégats occasionnés par l’animal. En effet, dans plusieurs endroits, il s’était posé saccageant tout sur son passage.

Déjà, il n’y a eu nulle victime si on ne prend pas en considération une femme qui s’est fait renifler d’un peu trop près et qui reste en état de choc. Après avoir fait plusieurs passages sur la ville avec un trajet n’ayant aucun rapport avec celui mentionné dans les journaux du matin, il serait resté au dessus de la baie, plongeant plusieurs fois pour boire et, accessoirement faire chavirer deux bateaux de pêche et ensuite, il serait reparti en dehors de la ville où il se serait posé un bon moment avant de prendre son envol et quitter l’île principale. C’est dans cette zone de campagne que j’ai rejoint l’équipe scientifique. Le champ était totalement saccagé, les cultures écrasées et le poids de l’animal avait laissé des empruntes d’une profondeur de plus de cinquante centimètres dans le sol détrempés par les dernières pluies printanières. Je trouvais le chef d’équipe juché sur un promontoire rocheux. Je grimpais jusqu’à lui pour lui demander un compte rendu. Avec un bâton, il me désigna la vallée. Il a du se poser dans le champ là bas. Ensuite, nous avons des empruntes dans les deux sens qui indiquent qu’il aurait continué en marchant vers la grotte en dessous de nous. Il me désigna un site de fouille archéologique sur d’anciennes civilisations néfilims dont il reste à peine quelques ruines.

Il n’a pas fait de dégât sur le site ?

Difficile à dire. Pas sur la partie où les archéologues travaillent actuellement mais il reste encore une grande partie de l’ancienne cité enfuie et le dragon a tassé une bonne partie de la terre.

Et qu’est ce qu'il serait venu faire ici ?

Vous m’en posez des questions chef. Je connais rien aux mœurs de ces animaux. Faudrait demander à Milie, c’est elle la spécialiste. Il me désigna du doigt une gamine à peine plus âgée que mon fils qui semblait ne pas tenir en place pataugeant dans la boue qui maculait déjà une bonne part de sa tunique. Je suivis le conseil et descendis dans le champs. Les empruntes étaient moins impressionnantes car on ne voyait pas leurs formes. Il s’agissait de sortes de cratères dans lequel un homme entier pouvait tenir couché sans difficulté et de longues trainées. La jeune fille, étudiante en éthologie et spécialisée dans les reptiles finissait de mesurer une emprunte. Je pensais qu’elle ne m’avait pas aperçu mais quand elle releva la tête ce fut pour annoncer : 18m.

Pardon ?

Vu l’emprunte de la patte, j’évalue la taille de l’animal à 18 m de la tête au bout de la queue.

J’aurais pu le lui dire. Je l’avais vu d’assez prêt pour en évaluer la taille.

Vous savez ce qu’il faisait là ?

Aucune idée mais par élimination, je peux vous assurer qu’il ne s’est pas perdu. Ces animaux ont un sens de l’orientation hors du commun. D’après son comportement, je dirais qu’il cherchait quelque chose.

Cherchait quoi ? pourquoi ?

Elle sortit une carte qu’elle déroula et soutint des deux mains. Je lui pris un coté la voyant chercher comment désigner certains points du doigt tout en tenant la carte. Elle me remercia et montra différents points marqués de rouge. Ce sont les différents endroits où il s'est posé. Il n’a fait aucun dégât du moins rien volontairement, il ne s’est pas nourri des humains à sa porté qu’il s’est contenté d’approcher et de renifler alors qu’il avait faim puisqu’il est allé mangé ensuite en cherchant des poissons. Cible pourtant plus difficile et moins nourrissante.

Il cherchait quoi ?

La fille hésita avant de conclure. Je ne peux rien affirmer.

Mais vous avez une hypothèse. C’était flagrant, elle me cachait quelque chose.

Je peux vous sortir des dizaines d’hypothèses.

Eviter celle de l’influence de Nibiru.

Elle sourit. Si nous nous retrouvons envahi de dragon dans la semaine, je penserais peut-être à cette solution mais il s’agit ici d’un comportement isolé.

Je tentai de détendre l’atmosphère par un sourire. Allez, dites moi l’hypothèse folle qui vous est passée par la tête.

He bien, sans parler d’hypothèse, je peux vous dire au moins deux choses. Numéro 1 : Ce comportement est tout a fait incongru pour un dragon.

Numéro 2, Si on me décrit ce comportement sans me dire de quel animal il s’agit, je dirais sans hésiter que c’est l’attitude typique du chien qui cherche son maître.

Je l’avais poussée à parler, j’étais servi. Elle se détourna, génée. Je vous avais prévenu que ce n’était pas concluant.

En effet oui mais parfois c’est en partant d’une idée tordue qu’on trouve la vérité.

Détaillez moi ça.

Hé bien, il se pose, flaire, se rapproche des hommes sans les craindre ni leur faire du mal. C’est le comportement d’un animal domestique.

Joli toutou en effet.

Elle continue exaltée. Je comprends qu’elle est sérieuse et ravie de pouvoir enfin oser dire tout haut ce qu’elle avait imaginé.

Suivant cette logique, ce serait dans cette clairière où il aurait retrouvé celui ou celle qui l’appelait.

Parce que quelqu’un appelait ?

J’imagine.

Appelait comment ?

Qu’en sais je peux être avec un appareil émettant des infrasons sur une fréquence qu’on ne peut percevoir. Enfin j’imagine.

Vous vous rendez compte que cette théorie est complètement farfelue ?

Je le reconnais chef.

Alors, cherchez encore.

C’est qu’elle allait trouver mieux que ça et vite celle-là.

Oui, chef dit-elle mais elle ajouta. Cela dit, vous ne pourrez avoir qu’une réponse saugrenue car rien de rationnel ne peut expliquer le comportement de cet animal. Par contre, je peux vous assurer qu’il n’était pas seul ici.

Pardon ?

Il y avait des empruntes de pas dans les empruntes de dragon.

J’imagine bien que des curieux sont passés.

La grotte aussi. Quelqu’un a fait du feu hier dans la soirée

Aucun commentaire: