dimanche 25 novembre 2007

Chapitre 4

Il est 22h, la nuit est tombée. De mon bureau, je domine la ville. Les dernières lueurs rougeoyantes du couchant ont disparues, peu à peu l’obscurité s’est rendue maître du terrain mais notre puissante capitale a fait face. Dans toute sa grandeur, elle s’est illuminée chassant les ténèbres. Elle brille maintenant de mille feux, fière d’avoir remporté cette victoire, comme tous les soirs. Cet arc de cercle derrière la tache sombre du parc, c’est l’amphithéâtre. Le plus grand de l’île, le plus grand jamais construit au monde. Une merveille. Et là, cette large tache de lumière diffuse où se mêlent diverses couleurs, ce sont les enseignes du marché de nuit. Au loin, on distingue l’aéroport, ou tout au moins sa tour et les oiseaux lumineux ornant les pistes d’atterrissage. Notre île est le joyau du monde. Je suis fier d’en être citoyen. C’est la plus belle ville du monde. Quand j’avais quinze ans, j’ai fait une fugue. Enfin, pour moi, ce n’en était pas une vu que j’avais prévenu mes parents. Je leur ai dit que je partais découvrir le monde. Ils m’ont répondu, « c’est hors de question, je ne veux plus en entendre parler, va dans ta chambre ». J’ai rassemblé quelques affaires, et je suis parti. J’ai fait la navette jusqu’au continent dans un bateau cargo, voyageant caché derrière des jarres de poissons salés. J’ai vécu d’un peu tout, petits boulots ou grappillage dans les champs. Je suis descendu loin au sud, au bout du continent noir, jusqu’aux frontières des territoires du sud, mais jamais je n’ai vu de lieux plus beaux qu’ici. Là bas, tout est sauvage, ca a un certain charme qui ma séduit pendant un temps mais rien ne vaut le confort de nos maisons. Je baisse les yeux sur ma pile de dossiers. Elle a encore grossi. Je crois avoir évité le scandale diplomatique en assurant que les pilotes étaient en vie maintenant il reste à espérer que Sérénit les fasse rapatrier avant que les esprits s’échauffent à nouveau. Je pose le dossier sur le coté, j’ai usé de toute mon influence, je ne vois pas ce que je peux faire de plus si ce n’est attendre. Harceler Sérénit sur le sujet, c’est le pousser à faire trainer les choses. J’en reviens aux autres affaires en cours : Deux nouveaux cas d’enlèvement. D’un geste machinal sur mon écran tactile, j’intensifie la luminosité du bureau. Je me rends bien compte que ce n’est pas ce soir que je ferais quelque chose de plus mais je ne peux m’empêcher de rester. Je pense à ces gens qui ont disparu de façon si mystérieuse. Elles se sentaient en sécurité sans doute. La capitale, nous l’avons baptisée Eden en hommage au paradis originel. La tour des traditions devait être au pouvoir à cette époque. Mais c’est vrai que c’est un paradis et je tiens à ce que ça le reste. Mais la crainte s’insinue, la peur. Les hommes n’osent plus faire sortir leurs enfants, eux-mêmes ne se sentent plus en sécurité. Je me replonge dans mon dossier et relis le cas du jour. Une jeune fille, quinze ans, issue des quartiers nord. Rentre chez elle accompagnée de trois copains. Il est dix-sept heure. Le quartier est fréquenté, tout à coup, elle disparaît.

Je lis le rapport de son petit ami qui était présent. « Nous étions tous les quatre : Amy (la victime), Lycos qui est un pote à moi, Mïanï la meilleure amie d’Amy et moi. Nous discutions en avançant. Nous allions chez Amy qui nous avait invités à prendre un pot chez elle en l’absence de ses parents. Je la tenais par la main. Je l’ai lâchée, juste quelques instant pour dire un mot à Lycos qui discutait avec Mïanï. Une plaisanterie car il fait les yeux doux à Mïanï. Quand je me suis retourné pour prendre la main d’Amy à nouveau. Elle avait disparu. On l’a appelé, on l’a cherché un bon moment puis nous sommes allés chez elle, pensant qu’elle nous avait devancés. La maison était ouverte, elle l’est toujours mais Amy ne s’y trouvait pas. On a attendu deux heures en s’inquiétant de plus en plus, surtout sachant ces histoires d’enlèvement et tout. On a commencé à paniquer, alors on a appelé la police.

Le premier rapport que j’ai eu de la sorte, j’ai donné un blâme à celui qui me l’a transmis. On ne se contente pas de si peu, on ne disparaît pas si facilement. Maintenant, je ne peux rien dire, ils sont tous ainsi. Le rapport de l’autre garçon et de la fille sont tout aussi laconique. La fille évoque un gros corbeau noir qui paraissait les suivre. Un autre témoignage d’un passant évoque aussi cet oiseau. Voila à quoi j’en suis réduit. A force de seriner mes homme à chercher la moindre information, ils en viennent à noter jusqu’au moindre oiseau qui passe. Ca leur donne l’impression d’avoir fait le tour du problème sans doute.

Je feuillette encore les rapports des diverses témoins qui ont pu être retrouvé. Personne n’a rien vu. Certains mentionnent avoir en effet remarqué les quatre adolescents, les décrivant comme bruyant. Personne ne dit avoir vu la jeune fille s’éloigner. Rien.

Je reprends la fiche d’Amy, cherchant désespérément quelque chose, n’importe quoi. Quinze ans. Les personnes disparues ont entre dix et soixante ans, hommes et femmes.

Issue de la bonne société. Tout comme la première victime. Mais pas la deuxième venant d’un quartier populaire, ni la troisième, ni les autres. Aucune concordance, à croire que les gens sont choisis au hasard. Ca n’a pas de sens, si quelqu’un en voulait à cette fille, quel intérêt de s’en prendre à elle au milieu d’une foule ? C’était bien plus simple d’attendre qu’elle soit seule chez elle. Ses parents rentrent tard. Ou alors, c’est de la provocation.

De la provocation. C’est ce que pensait le comandant Gerild. C’est pour cela qu’il soupçonnait les territoires du sud. C’est bizarre et provoquant, tout à fait dans leur style disait-il. Il n’a pas tort. Je repasse la bande d’information sur mon écran, un reportage de la veille. Derrière la journaliste, on voit une photo de Sérénit, bras croisé, il l’air de toiser la présidente d’un air de défi. Cette dernière lui rend un regard chargé d’animosité. C’est une photo prise au congrès de socialisation sur le continent. La photo reste en arrière plan comme flou derrière la cote continentale, l’attachée au affaire étrangère apparaît en avant plan pour peaufiner le commentaire. « Ici, les hommes s’inquiètent, ils craignent leur devenir et se voient déjà écrasé entre deux grandes puissances en guerre.

Je coupe le reportage, je l’ai déjà vu cinq fois, je le connais par cœur. On me l’a transmis ce matin accompagné d’un petit mot venant de l’assemblée des sénateurs : Sérénit a encore fait des siennes, il a insulté la présidente en public, voila le résultat. Faut que ce gosse apprenne à se tenir. Je me souviens de la réflexion que je m’étais faite. Sérénité sait très bien se tenir, il se maîtrise parfaitement. Quoi qu’il fasse ou qu’il dise, c’est réfléchi. S’il a dit quelque chose de déplacé, ce n’est que pure provocation. J’en avais discuté en déjeunant avec le sénateur qui m’avait envoyé ce message. Bon sang qu’est-ce qu’il cherche alors m’avait-il répondu. J’avais mâché un peu plus longtemps que d’habitude, juste pour avoir le temps de peser mes mots. Je ne serais pas étonné qu’il nous asticote comme le ferait une mouche juste pour voir jusqu’à quel point il peut mettre notre patience à bout.

- He bien il devrait y réfléchir car le jour ou on sera à bout, on écrasera le continent du sud comme une mouche.

- Vous avez déjà réussi à attraper une mouche ? lui avais je répliqué du tac au tac.

Je l’avais vexé. De plus en plus de gens rêvent de s’annexer les territoires du sud. Non pour leur richesse, en fait ils prennent un si grand soin à nous empêcher d’entrer chez eux qu’on ne les connaît même pas, non, juste pour leur faire ravaler leur fierté. De mon coté, je fais tout pour éviter d’en arriver là, un conflit n’a jamais rien apporté. On me reproche souvent mon laxisme comme une marque de faiblesse. Moi, les mouches, je préfère les ignorer. Enfin, je préférai car il est sans doute tant que je prenne conscience de l’ampleur du phénomène. J’ai parfois l’impression qu’il n’y a que moi pour minimiser nos dissensions avec le sud. Je suis certain qu’ils n’iraient pas jusqu’à la confrontation. Ce n’est pas dans leur intérêt, ils sont trop faibles pour se le permettre mais nous ?

Nous sommes un peuple civilisé, les conflits sont bons pour les primitifs du continent, nous, nous réglons les problèmes avec notre tête. J’en ai toujours été convaincu. Mais je me voile la face en espérant que tout le monde pense comme moi. Je reprends le dossier des enlèvements

Provocation, c’est vrai que c’est bien dans leur style de nous narguer en enlevant nos citoyens au nez de tous. Je secoue la tête, trop évident, et surtout, ils n’ont pas les moyens. Je parcours du regard les rapports. Mentionnent-ils quelque chose ou quelqu’un pouvant venir du sud, des étrangers ? Rien. Un témoin d’une affaire parle d’un individu à la peau noire mais ceux des territoires du sud ont la peau cuivré mais pas noir, ha si, un témoignage parle d’une jolie femme à la peu brune qui se serait volatilisée. Pas clair. En tout cas, nul rapport de disparition ne nous a été fait d’une femme du sud.

Qu’est-ce qu’on a d’autre ? Dans la catégorie farfelue on a aussi celui qui a vu une araignée de la taille d’une assiette, et celui ayant aperçu un loup en pleine ville. Je reprends le dernier rapport, c’est vrai que lui aussi fait état d’animaux, deux témoins ont vu un corbeau. Y aurait-il un point commun. Je feuillette à toute vitesse, une araignée, un loup, un corbeau, d’autres bêtes ? Un chat sur celui là. Bon, assez banal ça, il y en a partout, celui-là, rien. D’un autre coté, ca n’a peut-être pas été noté. Je souris de plus en plus fébrile. Pour la première fois, j’ai l’impression d’avancer, d’aller vers quelque chose. Quelque chose d’idiot, inutile et qui n’avance à rien mais quelque chose quand même. Un lapin sur celui-là. Je jubile. Un témoin a vu un lapin et ça me met dans tous mes états. C’est absurde, ca ne mène à rien. Mon excitation retombe. Les témoignages suivant ne font plus état du moindre animal. D’un autre coté ca ne m’aurait pas mené à quoi que ce soit. Ca me tracasse tout de même. Par réflexe j’effleure le communicateur avant de me souvenir que mon assistante est rentrée chez elle depuis longtemps. Il est minuit passé. Je m’étire, je vais rentrer. Je branche tout de même l’enregistreur vocal. Note : rechercher les témoins des affaires d’enlèvements V3476H, V3477F, V3479F, demander si certains d’entre eux auraient remarqué la présence d’animaux. Certaines de ses affaires remontent à plus de deux ans, je n’ai pas beaucoup d’espoir. Les témoignages ne seront pas fiables après ce temps. En plus, mes hommes vont à juste titre se demander ce qui me passe par la tête. J’ai envie d’effacer cette note. Je me rends compte a quel point c’est ridicule. Je pense encore à cette Amy, la dernière victime. Est-elle toujours en vie quelque part ? Et les autres ?

J’éloigne mon doigt de la touche « effacer », tout doit être tenté

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